L’impossible sobriété numérique ?

Il existe un paradoxe fondamental entre les actions des personnes qui œuvrent pour rendre nos économies plus sobres en consommation énergétique et le monde imaginé par les plus riches.

Fred Turner, professeur de communication à l’Université de Stanford, évoque l’imaginaire des habitants de la Silicon Valley :

La Silicon Valley développe des technologies pour son propre bonheur. Et nous « distrait » de construire réellement le monde que nous souhaitons. L’art et la technologie deviennent une technique qui permet aux ingénieurs de se tromper eux même sur ce qu’ils font vraiment. C’est une sorte de processus masqué.
Fred Turner - Le village global par Frédéric Martel

Les engagements numérique responsable

Les états ayant fixés des objectifs chiffrés face à un sujet considéré comment vital ; nos organisations réfléchissent à la manière de transformer leur façon d’aborder le numérique.

Le gouvernement

Le gouvernement français a publié le 23 février 2021 sa feuille de route « Numérique et environnement », dont le sous-titre est : « Faisons converger les transitions » (avec un document PDF non accessible, bravo le respect des engagements).

Cette stratégie numérique consiste en 17 mesures, regroupées sous trois chapitres : connaître les implications écologiques du numérique ; soutenir un numérique plus sobre (« Green IT ») ; « innover » dans le domaine d’un usage du numérique au service de la planète (« IT for green »).
Fabrice Flipo - Que penser de la feuille de route « Numérique et environnement » ?

Les entreprises

Le 8 octobre dernier, à Bercy, lors du colloque « Numérique et Environnement, faisons converger les transitions », des PDG de grands groupes, dont celui d’EDF, se pressaient pour signer la Charte Numérique Responsable.

Nombre de ces entreprises ont paraphé le manifeste de Planet Tech’care : Les signataires.

Un chemin impossible ?

Que de bonnes intentions de la part des grands acteurs du domaine. Mais quand on regarde sous les effets d’annonce, il semble que les objectifs soient impossibles à atteindre.

Un production de données exponentielle

A savoir de manière générale que nous produisons de plus en plus de données, et que chaque paire d’années qui passent nous produisons autant que le cumul de toutes les années qui ont précédé. D’ici 2030, les data centers consommeront 30% de supplémentaire.

En 2020, on estimait que 1,7 mégaoctet de données avaient été créés chaque seconde pour chaque personne sur terre. Nous avons créé plus de données au cours des deux dernières années que dans toute l’histoire humaine précédente.
Gerry McGovern

Un manque de profils

Les DSI ne savent pas comment comment trouver des profils des référents numérique responsable  : des profils à compétences transverses à intégrer dans des entreprises principalement gérées en silo.

Il ne manque pas de personnes convaincues par les enjeux du développement durable, mais elles sont souvent éloignées des contraintes techniques. Je crois qu’il est plus simple de partir de profils IT, qui ont déjà une appétence pour le sujet, que l’inverse 
Blaise-Raphaël Brigaud - La délicate gouvernance d’une stratégie de numérique responsable

Un manque compétence

De nombreux gouvernements ont été incapables de gérer la campagne de vaccinations avec des outils numériques. Des millions aux profits de fiascos.

La feuille de route du gouvernement Faisons converger les transitions confond sobriété et efficacité.
On parle encore d’optimisation des réseaux et des périphériques sans jamais évoquer les usages et leur pertinence.

Le marché est sensé s’auto-réguler pour nous sortir de l’ornière, sauf que les chiffres du marché vont dans le sens inverse de ce que les citoyens attendent.

Une vie de sortie ?

Geoffrey Joris et Fabrice Flipo convergent sur une approche pour éventuellement changer la donne.

La question du vivre-ensemble semble essentielle :

C’est à un vrai « partenariat stratégique » qu’il est nécessaire d’œuvrer aujourd’hui afin de rassembler et d’aligner tant les acteurs publics et privés afin de construire aujourd’hui les bases de la Société de demain en mobilisant toute l’expertise disponible et toute l’intelligence collective au profit du vivre-ensemble.
Geoffrey Joris - Les couacs administratifs liés à la stratégie de vaccination auront-ils raison d’un e-gouvernement ?

Mais la question de ce qui devrait être numériser ou pas, aussi :

L’urgent est de « socialiser les choix » en matière d’évolution des modes de vie… Il pourrait aussi être question de « dénumériser » partiellement les modes de vie.
Fabrice Flipo - Que penser de la feuille de route « Numérique et environnement » ?

Conclusion

L’énergie nécessaire pour aller vivre sur Mars ou créer l’homme nouveau, connecté au réseau partout dans l’univers, n’est pas disponible sur terre.

Il n‘y a pas d’autre issue à cette crise du climat que de mettre la question de l’outillage de nos sociétés au centre du débat.

Les modes de vie promus par les ultrariches, la Silicon Valley,… sont une promesse qui n’a pas de réalité pour notre très, très grande majorité.

Soit nous continuons de croire qu’un jour nous ferons partie, nous aussi, de ce cercle fermé mais alors la sobriété numérique restera un concept marketing et le climat chauffera sans s’arrêter ; soit nous essayons de se mettre d’accord sur un mode de vie soutenable avec pour conséquence de modifier notre modèle industriel en ce sens.

Qui pour incarner la défense ce mode de vie soutenable ?