Survente des rapports de développement durable
Actuellement, je me passionne pour la mesure. J’ai conçu Lowtus pour faire des comparatifs de performances de pages web (dans le temps). Et je travaille sur ma nouvelle fierté Frago (French governemental Reports for Accessibility compliance with goHugo) ; un outil pour générer des synthèses d’audits RGAA (à partir d’un fichier csv
).
J’avais évoqué le sujet de la mesure dans l’article L’éco-conception et la mesure. Notre monde moderne a été construit sur un principe social basé sur la croyance que l’homme éduqué est en capacité de comprendre le monde en l’étudiant ; et de le transformer en conséquence.
Les européens ont tenté de faire rentrer ainsi les africains dans l’histoire (Discours de Dakar, en vain selon un ancien président), nos ultra-milliardaires ont pour idée que nous pourrions « terraformer » la planète Mars…
Et nos dirigeants (à hauts salaires) pensent qu’il ne sera jamais trop tard pour aller à l’encontre des problèmes liés aux dérèglements climatiques à condition… de pouvoir mesurer nos émissions et de faire les bons effets d’annonces.
Le grand n’importe quoi des allégations climatiques
Clément Fournier nous apprend, dans Neutralité carbone : le grand n’importe quoi des allégations climatiques , que les concepts de neutralité carbone, de zéro émission nettes sont même souvent le prétexte à beaucoup d’affichage et de déclarations abusives.
Calculer un bilan carbone n’est pas si simple. Il y a des notions de périmètre ou scope qui vont de 1 à 3 : les émissions directes (1), les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques (2) et les autres émissions indirectes (3).
Calcule-t-on les émissions faites sur le territoire du pays, ou doit on y ajouter celles réalisées à l’étranger mais pour produire des biens consommés dans le pays ? C’est la différence entre l’inventaire national et l’empreinte carbone nationale. Selon que l’objectif de neutralité carbone est basé sur l’un ou l’autre, ce n’est pas la même chose.
Une fois qu’on a réussi à calculer tout ça, il faut ensuite faire son bilan comptable en émission pour arriver à zéro, de l’autre côté du tableau on indique quoi : réduction, stockage, compensation ?
Et oui, si vous pensez que les entreprises et États sont vraiment neutres en carbone, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Les comptables font ce qu’ils ont l’habitude de faire avec leurs ressources (matériels, financières et humaines) ; elles mettent tout dans un tableau pour que le bilan entre 2 colonnes donne zéro.
Être neutre en carbone, c’est mesurer ses émissions et acheter des plantations d’arbres quelque part pour compenser ses émissions mesurées. Il n’y a aucune volonté de réfléchir au problème systémique. Il y a une application de compétences comptables pour une conformité à la legislation et c’est tout. Ah si un peu de marketing pour dire aux clients qu’on est vertueux.
Le problème, c’est qu’aujourd’hui, il n’existe pas de définition harmonisée et universellement acceptée pour clarifier les déclarations diverses et variées liées à la neutralité carbone. La porte est donc ouverte pour que n’importe qui puisse dire à peu près n’importe quoi en matière d’allégations climatiques.
Survente des rapports de développement durable
Un article nous confirme ce grand n’importe quoi : Overselling Sustainability Reporting .
Croissance, croissance, croissance
Kenneth P. Pucker nous gratifie d’un texte particulièrement intéressant. Employé de Timberland (entreprise de textile) de 1992 à 2007, il a œuvré à garantir les 3 engagements de la firme : le respect des droits de l’homme, la gérance de l’environnement et le service communautaire.
En 1995, semble-t-il, il publiait un « indice vert » (Green Index) sur leurs produits, déjà. Ils ont gagné des prix pour leur politique environnementale… et pourtant ils n’ont jamais établi de preuves tangibles entre la bonne santé l’entreprise et cette politique.
Même le pionnier de la discipline, Yvon Chouinard (créateur de Patagonia), 10 ans après la publication de son ouvrage (Un business responsable), n’hésite plus à étaler ses états d’âme. Pour lui tout est croissance, croissance, croissance…
It’s all growth, growth, growth—and that’s what’s destroying the planet.
Beaucoup de mesures, peu de résultats
La multiplication de mesures dans les entreprises n’a pas limité les augmentations d’émissions. Aucun cercle vertueux n’a été enclenché dans l’industrie suite à la naissance de l’idée que mesurer allait enfin nous faire voir l’invisible et modifier nos pratiques.
Les entreprises embauchent des armadas de diplômés éduqués pour générer des documents administratifs participant plus à la soviétisation du système qu’à sa simplification. Il s’agit d’être dans le cadre de la loi mais pas de se poser les questions du sens de ce qu’on produit.
Selon une étude de 2016 qui a examiné plus de 40000 rapports RSE, moins de 1% - ont déclaré que lors du développement de leurs produits, ils ont intégré des objectifs environnementaux qui correspondent à la prise en compte des limites planétaires.
Que fait une personne incompétente pour dissimuler son incompétence ? Elle compléxifie le système de calcul de la mesure, elle jargonise… pour que le moins de personne possible puisse la remettre en cause. On crée le langage des dieux.
C’est justement à cet instant qu’interviennent l’Intelligence Artificielle, les capteurs, la BlockChain… Vous nous dites que nos mesures ne sont pas bonnes, qu’elles sont incomplètes ? C’est parce que nous n’avons pas les bons outils pour mesurer. Il nous faut un peu de 5G, des super-calculateurs, des ingénieurs…
Laissez nous en place et dans peu de temps vous verrez vous allez voir ce que vous allez voir ! Pas de besoin de lois contraignantes, le marché va se réguler.
Une étude de 2020 de Barclay’s a examiné deux décennies d’investissement ESG et n’a trouvé aucune différence entre les avoirs de fonds durables et traditionnels.
Mais comment peut-on penser que les choses vont changer si selon vos publications, vous ne prenez pas en compte les questions environnementales et si les investisseurs ne les prennent pas en compte non plus ?
Mesurer d’accord, mais pour enclencher quels moyens d’actions et pour quel objectif ? Est-ce que mesurer plus et mieux, va-t-il changer les objectifs de profits ?
Mesurez moins, mesurez mieux.
La mesure de l’impact de politiques RSE est quasiment impossible, vouloir se conformer à toutes les normes en place est un casse tête administratif, c’est une fuite en avant pour ne pas mettre le sujet des limites planétaires au centre.
L’autorégulation des entreprises ne fonctionne pas. Il existe un nombre important de personnes qui défendent un retour de la puissance publique pour réguler le marché et fixer des règles contraignantes simples, avec des audits certifiés.
En attendant que cela arrive un jour, si vous voulez vraiment œuvrer pour un monde meilleur : Simplifiez.
Mesurez peu mais mesurez bien. Un indicateur doit permettre de changer les pratiques et d’intégrer la réflexion sur le climat dans les actions de tous les jours. Moins il y a d’indicateurs plus, plus ils sont simples plus il est possible d’en débattre à plusieurs.
A mon niveau, j’essaye de faire ça pour améliorer l’accessibilité de démarches de l’État. A partir du RGAA (référentiel d’accessibilité), je pointe tout qui ne va pas dans la conception d’un site et j’appuie des actions pour améliorer le particulier et le général.
Pour le moment ça marche et pourtant mon intelligence n’a rien d’artificielle.