Accessibilité numérique, aussi élimine les frictions ?
Est-ce que l‘accessibilité numérique ne demanderait pas de créativité ? Créativité à proprement dites, je ne sais pas ; mais elle demande de l‘expérimentation, ça c’est sûr !
Pour questionner cela, je vais me contenter de citer un article de Jenny Zhang (@phirephoenix) qui évoque le sujet du « chemin » à travers une critique de l‘usage de l‘IA. Elle parle des promesses de l‘IA pour éliminer les frictions. Dans cet article beaucoup de choses sont dites :
Dans ce monde idéal, ils (les entrepreneurs de l‘IA) n’ont jamais à penser aux autres, dont les désirs, les besoins et les droits pourraient entrer en conflit avec leurs caprices.
Cette phrase évoque le principe autoritaire des propriétaires de solutions techniques dont l’objectif est de mettre en place des monopoles (en uniformisant) et autres prisons dorées, desquelles les citoyens ne peuvent plus s’échapper. Dans ce monde, les marginaux, les handicapés, les personnes fragiles… n’existent que peu ; enfin leur existence n’a que peu d‘intérêt.
En ce moment, je me pose beaucoup de questions sur ce chemin douloureux de vouloir travailler dans l’accessibilité numérique, alors que tout m‘en empêche. Pourquoi vouloir à tout prix faire les choses correctement, quitte à se faire virer parce que ce n’est pas l‘attendu de l’instant. Pourquoi préparer tous les jours des repas de restaurant à mes enfants ; m’infliger ce quotidien fastidieux juste pour que les bougres développent le sens du plaisir (partagé).
Nous exprimons nos valeurs et nos identités dans ce pour quoi nous choisissons de prendre du temps.
Je me fais souvent rattraper par la patrouille, parce que je prends du temps quand je pratique une chose une première fois que j’entame une tâche. Les personnes doivent se demander ce que j’ai bien plus faire pour produire un résultat aussi ridicule. Sauf que pendant ce temps j’ai construite les fondations pour organiser mon travail de manière industrielle pour les années à venir. Mon travail est répétable.
« Le manque d’originalité, partout, partout dans le monde, depuis des temps immémoriaux, a toujours été considéré comme la qualité la plus importante et la recommandation de l’homme actif, efficace et pratique » - Fyodor Dostoïevski, l‘idiot
J’aurai donc des valeurs. Quand on me demande de mettre en place une stratégie d‘amélioration de l’accessibilité numérique, je décide que c‘est prendre son temps qu’on a pas fait jusque là.
Je décide que c’est du temps qu’il faut prendre, car c‘est la logique de l’instant et de l‘urgence qui fait qu’on oublie des personnes. Je vais vous le rappeler encore et encore mais c‘est aujourd’hui 63% des personnes qu’on oublie dans la conception des interfaces numériques. Et on pense qu’on peut se passer d’accessibilité, c’est trop cher.
La friction que le projet politique de l’IA promet d’éliminer est, dans l’ensemble, la même friction que l’autoritarisme promet d’éliminer : les autres (personnes). Vous n’avez pas besoin de construire une relation avec d’autres êtres humains qui sont aussi complexes et contradictoires que vous et qui vous frustreront probablement de toutes sortes de manières, peut-être en défiant vos idées préconçues ou en vous attendant à ce que vous respectiez vos engagements.
Respecter ses engagements en tant que professionnel, ses engagements envers les personnes à qui on propose des services pour faciliter leur vie… tout ça semble contraire à cette idée de supprimer simplement les frictions.
Pourtant, c‘est bien le cœur de notre métier : essayer den comprendre des êtres humains complexes et contradictoires.