La figure de l'ingénieur

Il y a quelques semaines, nous évoquions la disparition des stars du code HTML, si on peut glorifier d'un côté la mise en pratique des standards du web, on peut aussi être déçu par cette nouvelle dimension industrielle qu'à désormais adopté le web.

Les développeurs d'expérience seraient bien meilleurs que les jeunes loups, quand on parle de l'histoire d'Internet ou du web, on sent souvent revenir la référence à différents âges d'or durant lesquels on découvrait de nouveaux mondes et où on expérimentait un domaine en construction.

Pour le web, on imaginait un monde de connaissances partagées d'échanges libres de données, un moyen de mettre à porter de souris des informations permettant de s'élever et de nourrir des débats.

Malheureusement quand y regarde de plus prêt, le monde construit par les développeurs ne ressemble pas vraiment à un monde juste et égalitaire. Je vous conseille de lire, à ce propos, l'article Ce que l’internet n’a pas réussi (2/4) : renverser les inégalités.

Dans les quartiers populaires les plus prisés, les projets de résidence haut de gamme se multiplient. Les restaurants et cafés de luxe chassent le petit commerce local. Les poches de pauvreté intenses des quartiers comme Fillmore ou Tenderloin sont de plus en plus isolées face à la hausse exorbitante et générale du prix des logements. La population noire a diminué depuis les années 70 passant de 10% à moins de 4%. Le nombre de Latinos y augmente plus lentement que partout ailleurs en Californie.

N'est-ce pas paradoxale, tout ce beau monde qui milite pour la diversité des échanges sur Facebook qui pourraient guider des révolutions, la force d'applications de rupture qui pourraient permettre de nous libérer des carcans et voir que plus ça va plus les inégalités augmentent ? Ainsi, les conséquences de ce système est horrible et pourtant on le conforte de plus en plus en promettant des lendemains heureux.

Qu'est-ce qui peut bien se produire pour nous mettre en avant l'expression de la raison et de la primauté scientifique et de se baser sans cesse nos décisions sur des conclusions en contradictions avec nos recherches les plus pointues ?

Toujours dans cet article d'InternetActu, Hubert Guillaud développe aussi la question de savoir si cette inégalité n'est pas intrinsèque aux sociétés technologiques.

Et si le fait que l’internet ait aggravé les inégalités était un acte délibéré ? Et si changer le monde pour moins d’égalité était le but caché des entrepreneurs de la Vallée révélant leurs vrais visages ? C’est ce qu’envisage le journaliste Klint Finley (@klintron) pour TechCrunch en mettant les pieds dans le plat et en évoquant « la montée des néoractionnaires ».

En gros, si au niveau de la vie en communauté nous essayons de garantir certaines égalités et respect au sein d'un groupe, les grandes entreprises, start-up, investisseurs… (défendues par Fleur Pellerin), elles, pratiquent un système de valeur dans lequel l'homme à l'esprit logique le plus développé est valorisé ; un système complétement inégalitaire.

Or, jusqu'à preuve du contraire, ces entreprises sont composées de milliers d'ingénieurs aux salaires plutôt élevés. Ces fameux geeks, passionnés par l'innovation, l'investissement, changer le monde, lutter contre les discriminations, sont bien content de cette situation. Il reçoivent un gros salaire en compensation qui leur permet de souvent de s'acheter des T-shirts mieux coupés et des chaussures à la mode.

Dans notre système éducatif, on spécialise les gens selon différentes disciplines, certains deviennent ingénieurs et on la faculté de savoir coder des algorithmes ; pour leur réussite sociale, ont-ils besoin de développer leur critique sociale ? Absolument pas.

Dans des domaines d'amateurs, on arrive à mixer divers types de profils et à réunir des considérations techniques mais aussi sociales ; c'est souvent un peu ça l'âge d'or. Devenir/Être ingénieur aujourd'hui et accepter de travailler pour des employeurs qui prônent un monde inégalitaire est une position qu'on peut considérer comme profondément malfaisante.

À la suite de la lecture de cet article, je me pose une question. Est-il possible de continuer à travailler avec pour ces grandes entreprises de quelques façon que ce soit ? Comment prétendre lutter pour un monde fait de beauté et d'amour alors qu'on conforte le système en place destructeur ?

Ne faut-il pas lutter contre cette figure de l'ingénieur qui représente l'armée capitaliste de destruction du capital humain. Ces ingénieurs ne devraient-il pas par bonne conscience stopper leur activité performative et lutter pour une meilleur répartition des richesses ?

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