Interview (fictive) de Stéphane et Richard Xavier Niel sur la 5G

Voici, une interview fictive des gérants des entreprises Orange et Free, 2 géants monopolistiques, de l’accès aux réseaux mobile et internet.

Messieurs bonjour, je suis heureux de pouvoir vous poser quelques questions. Tout d’abord comment définiriez vous votre métier aujourd’hui ?

Stéphane Richard : Nos activités sont très variées, mais la plus importante, celle que perçoit le grand public est celle d’opérateur de téléphonie mobile et accès internet.

Xavier Niel : Opérateur, c’est un comme un constructeur d’autoroutes. On s’occupe des autoroutes de l’information. On met en place les réseaux, on gère leur fonctionnement et on garantit aux usagers un service.

Un service, quel service ?

S.R.: Un service, plutôt des services. Sur ces autoroutes de l’information, on développe des usages. On fournit du contenu avec de la vidéo à la demande pour le sport, le cinéma… ; des services aux familles avec la géolocalisation de vos enfants ; des jeux en ligne ; de la musique ; la domotique ; des assistants vocaux. Et puis il y a la recherche sur le cryptage, les nouveaux protocoles…

X.N.: Oui, mais aussi, de l’hébergement avec nos Data Centers, nos centres d’appels… et du conseil auprès d’entreprises.

De quelle manière voyez vous évoluer vos activités prochainement ?

X.N.: L’actualité, c’est la mise en place de la 5G. La 5G c’est le Ultra Haut Débit de l’Internet mobile. Elle devrait permettre d’atteindre jusqu’à 1 Gb/s de débit en réception (jusqu’à 300 Mb/s en émission).

S.R.: C’est évidemment indispensable d’équiper le pays avec ces nouvelles autoroutes, la demande des usagers est grandissante. Nous allons rentrer dans une nouvelle aire technologique dans laquelle, le réseau sera partout. Nous allons pouvoir connecter toute une maison, toute une ville et contrôler un ensemble de systèmes qui vont améliorer la gestion du quotidien.

On a 40% d’augmentation d’usage chaque année. Il faut qu’on ait des réseaux qui permettent de les écouler et on a besoin de la 5G d’abord pour cette raison.
Stéphane Richard

Vous allez donc développer de nouveaux services grâce à ce nouveau réseau ?

S.R.: Bien entendu. La 5G, c’est une autoroute plus large, plus rapide, plus sûre. Les réseaux sont congestionnés, La 5G, c’est comme passer d’une 4 voies à une 12 voix. Nous allons pouvoir faire passer plus de données, plus vite. Pour en profiter, il faudra développer des périphériques adaptés et des protocoles sécurisés.

X.N.: Mais c’est aussi l’attractivité économique de la France qui est en jeu. Attirer des laboratoires de recherche, des entreprises de contenus… pouvoir développer de nouveaux services sur ce réseau et créer des synergies entre entreprises. Comme je le fais avec Station F, qui me permet d’investir pour que des entreprises pérennisent des business models sur un nouveau secteur que je promeus par ailleurs ; je suis gagnant-gagnant.

Le rapport GreenIT sur l’empreinte du numérique pointe l’impact de la fabrication de nouveaux périphériques sur notre environnement. Si vous mettez en place des autoroutes plus larges et plus rapides, on s’attend à ce que les usagers achètent des véhicules plus puissants et plus énergivores pour en profiter. Qu’en pensez vous ?

X.N.: Le sujet, c’est que, si on veut être raisonnable, il faudrait que tout le monde réduise sa consommation de data. La climat est un sujet qui nous touche tous, tout le monde doit faire un effort.

S.R.: D’ailleurs, Orange s’est engagé dans un plan neutralité carbone d’ici 2040. Nous avons déjà réduit notre consommation de 3% alors que la trafic a augmenté de 40%.

Un brillant blogueur, Bertrand Keller, a expliqué que la consommation d’énergie avait été déléguée avec le numérique. La fabrication d’un périphérique se fait en Chine, l’électricité d’un mobile est payé par l’usager, l’encre de l’imprimante pour avoir son billet de train est à charge du voyageur… comment calculez vous votre consommation ?

X.N.: Il y a des instances qui réfléchissent sur le sujet, je pense qu’il faut leur faire confiance. On parle d’un effort collectif, pas de qui consomme et où de manière individuelle. Chacun doit faire un effort de son côté et le gouvernement doit engager des mesures pour à la fois permettre à la France de se moderniser et préserver le climat.

Justement le Sénat vient de publier un rapport qui dit qu’il faudra « passer par une limitation du renouvellement des terminaux, alors que la durée de vie d’un smartphone », la mise en place de la 5G n’est-elle pas contraire à cela, puisqu’on va inciter les français à renouveler rapidement leurs portables ?

Lire : Pour une transition numérique écologique - Sénat Français

S.R.: Nous avons inscrits dans nos status 4 principes clés - la confiance, la proximité, la qualité de service, et l’humanité - ce qui nous distinguent dans tous nos services, vis-à-vis de nos clients, de nos parties-prenantes et de nos partenaires. Voici, une vision d’un numérique plus responsable. La mise en place d’un programme de recyclage avec Emmaüs international fait partie de nos engagements.

Vous me disiez précédemment profiter de la 5G pour développer les objets connectés, vous profitez directement de la mise en place de la 5G en tant que gestionnaire de l’autoroute (le payage), en tant que concessionnaire de périphériques (vendeur de téléphones) et gestionnaire de parkings (hébergement), vous allez vers une numérique plus responsable que la précédent d’accord, mais pas responsable pour autant. Est-ce que je me trompe ?

X.N.: Je reconnais ce genre de discours qui est proche de celui des écologistes technophobes. Il ne faut pas rester au moyen-âge dans votre tête. La 5G permettra de connecter l’ensemble du territoire et de rendre le numérique accessible à tous. Nous participons depuis 2 dizaines d’années à la numérisation du territoire. Il y a eu des étapes. Celle de la 5G, va permettre de connecter votre miroir pour détecter des mélanomes, tester votre salive pour savoir si vous avez un virus, aider à arroser les jardins urbains pour une agriculture plus saine en ville.

Comment êtes sûr que tout le monde va en profiter ? L’entreprise Fastly a montré que l’accès au réseau aux États-Unis étaient très dépendant du revenu. La 4G n’est pas déployée partout. On parle de l’intérêt de la 5G pour des usages comme la voiture connectée, c’est-à-dire pour des zones urbaines denses, cette technologie ne serait-elle pas disponible qu’aux riches, ceux qui consomment le plus et doivent revoir leurs usages ?

Digital divide - numérique responsable

S.R.: Bien entendu que non, grâce à notre fondation (qui est un moyen de défiscaliser des bénéfices), nous faisons de la formation gratuite au numérique dans toute la France avec les Les Ateliers Numériques. C’est un moyen de pousser les gens à bien se servir du numérique, à travailler en équipe et à adopter les codes de l’entreprise ou du monde du travail en général. Nous allons vers un numérique plus inclusif et plus responsable.

Vous confirmez donc que vous voulez généraliser l’usage du numérique, ce qui est dans l’intérêt de votre entreprise. Le Haut conseil pour le climat vient de rendre un rapport qui dit que « Les actions climatiques de la France ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des objectifs qu’elle s’est donnés ». Comment, avec la 5G, concilier réduction de la consommation de données et l’explosion de la consommation data prévue ?

L’étude indique qu’une consommation mensuelle de 200 Go sera ainsi facile à atteindre avec des usages vidéo gourmands. Un tel seuil concernera évidemment une portion des utilisateurs. La moyenne se situera plutôt autour des 83 Go par mois. Cela reste tout de même un sérieux bond par rapport aux 5,6 Go mesurés en 2018. Même chez Free Mobile, où la data est limitée, on avoisine les 11 Go par mois en moyenne.

X.N.: Il y a un moment, quand même, où il va falloir qu’on génère des emplois dans ce pays, donc nous avons besoin d’étrangers et d’investisseurs qui viennent ici.

Qu’en pensez vous Monsieur Richard vous avez dit que la 5G était une chance face au défi climatique, il y a des avis divergents sur la question, un moratoire s’impose ?

S.R.: Écoutez, je maintiens mes propos. La France doit être le fer de lance de l’installation de la 5G sur son territoire. Orange est une entreprise modèle. Nous faisons notre part du travail aux usagers de faire la leur. Ils doivent faire des efforts pour consommer moins de data. Ce n’est pas Orange qui valide un panier d’achat ; quand après avoir envoyé des mails commerciaux, réalisé des publicités à la télévision, un usager décide d’acheter le dernier téléphone 5G monté par des robots chinois avec des matières premières extraites dans des zones de guerre.

Ne devons nous pas rester prudent et contrôler sa mise en place, pour quelle se fasse de la manière la plus durable possible, pour les domaines les plus critiques, imaginer ne pas le faire si l’investissement n’en vaut pas la chandelle ? Faire les choses de manière concertée avec les pouvoirs publics plutôt que de mettre tout le monde dos-à-dos ?

X.N.: Il y aura une offre 5G chez Free avant la fin de l’année si on dispose bien des fréquences (..) Nous déployons actuellement des équipements 5G de manière active. On ne fait pas semblant de faire un bêta test dans un coin pour faire genre on a trois antennes 5G. On déploie réellement des antennes 5G prêtes à être allumées. Donc, votre avis on s’en tamponne. Si mon entreprise gagne de l’argent, ça me va.

Dernière question. Vous faites partie des 0,1% des personnes les plus riches de France, Diana Ivanova, chercheuse, a publié un graphique montrant que la répartition des émissions de CO2 selon le revenu. D’autres études concluent que pour changer la donne c’est aux classes sociales les plus riches de baisser leur consommation. Comptez vous changer votre mode de vie ?

Imaginez les émissions de l’UE sous la forme d’un GRAND tas de déchets. Seulement 10% de la population produisent plus de déchets que 50% de la population.
Diana Ivanova

empreinte énergie population - numérique responsable

X.N.: Je ne vois pas pourquoi.

S.R.: Je suis président du groupe Orange qui est un groupe mondial. J’ai des responsabilités de part ma fonction. Je ne suis pas uniquement Stéphane Richard, je suis Stéphane Richard président du groupe Orange. Je voyage et consomme parce que je suis en représentation permanente. Je ne vois pas comment changer de mode de vie, à moins de ne plus être président du groupe Orange. Ce que que vous appelez les riches sont prisonniers de leur réalité sociale, nous n’avons pas de choix que de consommer (excessivement) pour exister, ne pas disparaître, et être respectés. Ne pas mettre en place la 5G en France serait priver les dirigeants français d’un luxe que les dirigeants d’autres pays auraient. Ces sont les riches qui génèrent le profit. Aux autres de raccrocher les wagons, car le reste n’a pas d’importance, seul le maintien du mode de vie des plus riches compte.

Conclusion

Vous aurez compris que cette fausse interview est orientée. Elle se sert, en partie, de propos tenus par les 2 protagonistes pour glisser des questions plus incisives sur la question de l’empreinte énergétique des populations les plus aisées.

On parle souvent de science et de chiffres, les études indiquent très clairement que c’est une faible quantité de personnes, les plus riches, qui émettent le plus de CO2. Pour atteindre des objectifs de réduction de notre empreinte, il faut que les plus aisés jouent le jeu.

Concernant la 5G, beaucoup de choses tendent montrer qu’elle sera restreinte aux zones les plus denses (en population et richesse). En effet, la mise en place est très chère, donc le prix risque de se répercuter sur les forfaits (donc ce sera inaccessible aux plus modestes)

la portée réduite des ondes à 3,4-3,8 GHz implique une inégalité dans l’installation des antennes en fonction des territoires : une antenne couvrira peu de personnes et donc peu de trafic en zone rurale
Gauthier Roussilhe - La controverse de la 5G

On peut légitimement penser que la 5G va provoquer une consommation de nouveaux produits électroniques accrues très émetteurs de CO2 (type objets connectés).

L’effet final sera donc une concentration plus élevée de produits polluants dans des zones où les habitants produisent déjà beaucoup trop de carbone pour atteindre nos objectifs de réductions d’émission.

Si des Stéphane Richard ou Xavier Niel continuent de voir une responsabilité globale de tous concernant la pollution. La mise en place de la 5G aura pour effet de demander à la globalité de baisser ses émissions de CO2 (quotas, limitations…), donc au plus pauvres de réduire en train de vie. Réduire leur train de vie alors que la 5G aura été une proposition aux plus riches d’émettre encore plus de CO2.

La 5G est donc le symbole de l’augmentation des écarts dans la segmentation de la population en fonction de ses revenus (et de sa situation géographique). Il existe des disparités fortes dans l’accès au réseau et donc à la connaissance et à la formation. Nous l’avons constaté pendant le confinement.

La question se pose ainsi : Préférons nous investir dans une réseau uniforme qui permet au plus grand nombre d’accéder à la connaissance, de développer des services à l’ensemble des français ? Ou préférons nous investir dans un réseau qui privilégie des populations qui le sont déjà, dans un des principaux but de capter leurs richesses dans des services commerciaux ?

Moi, j’ai ma préférence sachant que la deuxième proposition est incompatible avec les engagements climats de la France.