Docteur, technophobe est-ce une maladie ?

On entend parfois à l’évocation du nom de Ellul, des personnes prétendre que sa pensée est technophobe. C’est-à-dire contre les évolutions de la technique ou contre la technique tout court.

La vitesse tue le temps

Dire qu’Ellul est technophobe c’est, en quelque sorte, croire que sa pensée est isolée. Qu’il suffit de l’accuser lui seul pour tout de suite le ranger dans une case des méfiants face à la technique et passer à autre chose.

Or, ses écrits peuvent être proches des recherches d’autres auteurs comme Illich, Charbonnaud ou encore Heiddeger qui eux sont rarement attaqués sur ce thème.

Il fait partie d’un courant de pensée historiquement large (devenu minoritaire au niveau médiatique) qui affirme que la technique n’est pas neutre. Elle est la cause d’effets positifs et d’effets négatifs.

La technique étant la recherche de l’optimisation, elle a tendance à dépasser un seuil au delà duquel la vitesse tue le temps : le moment où on passe plus de temps avec sa voiture dans les bouchons qu’à rouler à vitesse de croisière pour rejoindre sa destination.

Les divinations d’Ellul

Ce qui le démarque de ces autres auteurs, ce sont ses prévisions «  divinatoires ». À la lecture de ses livres, certains de ses admirateurs ne manqueront pas de dire : Éllul l’avait prévu.

Ce n’est donc pas tant ces réflexions sur la technique qui posent problème mais plutôt ses utilisations d’exemples comme le nucléaire pour expliquer que malgré les nombreux bénéfices qu’il apporte ; il cause des soucis bien plus importants (voir les documentaires sur Areva et l’échec de la construction des EPR).

Il passe aux yeux des adorateurs de la technique pour un oiseau de mauvais augure, une personne qui prêche le malheur tel le gourou d’une secte.

Sauf que le discours d’Ellul ne se limite pas à ces objections. Il dit simplement que les innovations techniques apportent la puissance à l’homme et que cette puissance nécessite une responsabilité d’autant plus grande que la puissance est élevée. Or, l’homme s’avère incapable de mettre en place les systèmes de gestion de cette puissance.

L’obsession de l’efficacité conduit à prendre des risques toujours plus graves en espérant y échapper

C’est un constat. Les capacités de l’homme sont en réalité trop limitées. Le « réchauffement » climatique en est une preuve.

La dimension transcendentale

Pour Éllul, la société moderne est caractérisée par le fait que : la technique ne sert plus l’homme mais l’homme sert la technique.

Il pense que les hommes ont sacralisé la technique. Qu’avant le 18ème siècle, les sociétés humaines partaient du principe que Dieu était à l’origine de tout. Qu’avec la fin de cette croyance, l’homme a dû remplacer Dieu par quelque chose et que ce quelque chose c’est la technique : tout est technique, la technique est partout, l’homme a besoin de la technique.

Sauf que l’homme a besoin de croyances, de rêves… l’idéal de la technique ne répond pas à ses attentes transcendentales.

La vision technique de l’histoire

Les techniciens peuvent très bien utiliser cette citation, sans jamais se l’appliquer :

Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou.

Je suis allé voir la présentation de Christian Fauré sur les digitales Studies pour Octo et il utilisait l’exemple du cheval de Troie.

Le cheval de Troie serait un objet technique avancée militaire pour conquérir Troie. Peut-être, mais le cheval de Troie est avant tout un objet de culte. C’est parce qu’il avait été perçu comme tel par les Troyens qu’ils ont décidé de la ramener dans leur cité. Ils se sont fait tromper à cause de leurs croyances.

A trop voir l’histoire de l’homme comme celle de la technique, vous tendez à voir tous les hommes comme des robots.

Conclusion

Ellul disait qu’on reconnaissait facilement un adorateur de la technique à sa capacité à dire à chaque échec technique que l’homme n’avait juste pas bien utilisé la technique ou qu’une autre technique supplémentaire aurait suffit à éviter le problème.

Comment peut-on parler d’égalité quand le pouvoir, qui crée les inégalités de toutes les espèces, s’acquiert par l’efficacité dans la production, la gestion et la vente des marchandises ?

La technophilie, la technophobie ou la neutralité ne sont donc pas le sujet. La technique crée des inégalités entre les hommes.

Une grande partie des patrons de la Silicon Valley pensaient participer à un monde meilleur ? Aujourd’hui, ils se rendent compte que le monde est probablement pire qu’avant.

Évoquer les rapports humains sous le prisme de la technique c’est accepter qu’une partie des hommes domine une autre partie et participer au maintien d’une société de maîtres et d’esclaves.

Fuyons la puissance.